Biologie de la peau

La phase inflammatoire de la cicatrisation cutanée

dimanche 4 mai 2014 par Michel Démarchez

Dans un article précédent La phase vasculaire de la cicatrisation cutanée, nous avons vu que suite à une lésion cutanée avec rupture des vaisseaux superficiels, on observe une réaction locale immédiate, l’hémostase  , qui est accompagnée d’une vasoconstriction rapide, et qui a essentiellement pour but l’arrêt du saignement . Le sang qui s’est échappé des vaisseaux endommagés vers le tissu environnant va coaguler et former la croute qui va isoler provisoirement le tissu cutané lésé de l’environnement. Dans l’article qui suit, nous décrivons la phase inflammatoire du processus de cicatrisation   cutanée qui a pour but majeur d’empêcher l’infection, de nettoyer la plaie des débris cellulaires et de préparer la phase de reconstruction.

 1. Les signes cliniques de l’inflammation  

Cliniquement, la réaction inflammatoire se caractérise par les 4 signes cardinaux de Celsius (1er siècle) : « Rubor et tumor cum calore et dolore » (rougeur et gonflement avec chaleur et douleur  ) mais également par un 5e signe : « functio laesa » (perte de fonction) ajouté par Galien quelques siècles plus tard. La rougeur et la chaleur résultent de l’augmentation locale du débit sanguin en raison de la vasodilatation des vaisseaux adjacents à la plaie. Le gonflement ou œdème est du à la fuite plasmatique suite à une augmentation de la perméabilité des vaisseaux. Cet œdème qui comprime les fibres nerveuses locales est responsable de la douleur. La brèche cutanée due à la blessure entraine la perte de la fonction barrière normalement remplie par la peau.

 2. Le rôle de l’inflammation

L’inflammation a pour but majeur de faire venir sur la zone lésée, des phagocytes et des protéines plasmatiques qui pourront

• Isoler, inactiver ou détruire les éléments étrangers

• Eliminer les débris cellulaires

• Préparer le terrain pour permettre la réparation du tissu endommagé

Au niveau de la plaie et à sa périphérie, il se forme un exsudat inflammatoire composé de :

Fibrine   issue de la cascade de coagulation  

• Fluides issus des vaisseaux adjacents en raison d’une augmentation de la perméabilité vasculaire et contenant de l’eau, des sels minéraux, des protéines, des anticorps, du fibrinogène, et des précurseurs de l’inflammation

• Cellules inflammatoires (neutrophiles, monocytes et lymphocytes) attirées sur le site de la lésion par chimiotactisme et émigrant par diapédèse à travers la paroi des vaisseaux situés à la périphérie de la plaie.

 3. Le contenu de la réponse inflammatoire

Suite à une lésion cutanée, on observe les événements suivants :

Une défense immédiate par les macrophages   résidents localement dans le tissu qui vont limiter l’invasion microbienne en phagocytant les microbes étrangers.

Une vasodilatation locale permettant un apport sanguin accru qui est en grande partie due à l’action de l’histamine   libérée lors de la dégranulation des mastocytes  . Ceci provoque un afflux sanguin plus important et une arrivée de nouveaux leucocytes et de protéines plasmatiques mais également un ralentissement local de la circulation sanguine, ce qui facilite la diapédèse.

Une augmentation de la perméabilité vasculaire par agrandissement des pores membranaires en raison de la contraction des cellules endothéliales de la membrane basale des vaisseaux, permettant ainsi une extravasation de protéines plasmatiques normalement cantonnées dans le vaisseau.

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La formation d’un œdème localement qui est du à l’arrivée des protéines plasmatiques dans le liquide interstitiel ce qui augmente la pression colloïde osmotique dans le tissu et à l’augmentation du débit sanguin qui entraine celle de la pression des capillaires, ce qui favorise la filtration et s’oppose à la réabsorption de liquide par les capillaires locaux. L’ensemble de ces événements aboutit à un déséquilibre dans les échanges de liquide qui est la cause de l’œdème.

L’isolement de la zone lésée par la formation de caillots de fibrine dans le liquide interstitiel qui vont entourer les cellules endommagées et les éléments microbiens, ralentissant ainsi ou empêchant la pénétration de microbes étrangers à l’organisme. Dans les heures qui suivent la blessure, une croute va se constituer à la surface externe de la lésion, l’isolant de l’environnement extérieur. Elle résulte de la déshydratation du caillot de fibrine, des cellules inflammatoires et des microbes qu’il englobe et d’une partie du derme   et de l’épiderme   immédiatement adjacent à la plaie. La croute sera par la suite éliminée lorsque l’épiderme se sera reconstruit sous elle. L’élimination d’une partie du derme avec la croute sera à l’origine, par la suite, d’une légère dépression de la peau au niveau de la zone cicatrisée.

Une émigration des cellules inflammatoires qui se produit dans l’heure à partir des vaisseaux à proximité de la lésion : les neutrophiles sont les premiers arrivés, suivis, 8 à 12 h plus tard par les monocytes qui vont se transformer localement en macrophages matures en une dizaine d’heures. Les cellules de l’infiltrat inflammatoire vont ensuite migrer vers le tissu lésé par chimiotactisme en suivant un gradient de concentration de médiateurs inflammatoires produit au niveau de la lésion.

 4. Les composants cellulaires de l’infiltrat inflammatoire

• Les cellules inflammatoires résidentes de la peau, macrophages et mastocytes vont être les premières à intervenir dans le processus inflammatoire déclenché par la création de la plaie.

• Les mastocytes résidents dans la peau à proximité de la lésion vont dégranuler. Des expériences de déplétion de ces cellules avant la création d’une blessure, ont montré qu’elles pouvaient être impliquées dans la modulation de l’infiltration des neutrophiles, l’augmentation de la perméabilité vasculaire et le taux de fermeture de la plaie (pour revue voir #Wilgus and Wulff, 2014).

• Dans les heures qui suivent la création de la plaie, les neutrophiles migrent par diapédèse dans la plaie pour, à 24h, représenter près de 50% des cellules de la lésion. Un grand nombre de neutrophiles sont piégés avec les plaquettes dans le caillot sanguin où ils vont libérer des facteurs qui vont amplifier l’agrégation plaquettaire, la coagulation et vont attirer d’autres cellules inflammatoires par chimiotactisme. Les neutrophiles vont détruire les agents pathogènes et éliminer les débris cellulaires en les phagocytant et en libérant toute une batterie de substances antimicrobiennes (ROS  , peptides cationiques, eicosanoides) et de protéases (élastases, cathepsine G, protéinase 3, …). (pour revue voir #Wilgus et al, 2013)

• Les monocytes sont recrutés en même temps que les neutrophiles sur le site de la lésion où ils vont se différencier en macrophages(pour revue, voir #Rodero et Khosrotehrani, 2010). Ils sont attirés dans la zone lésée par l’action de molécules secrétées localement par les plaquettes du caillot sanguin, les kératinocytes   hyperprolifératifs, les fibroblastes   en bordure de la plaie, et par les autres cellules inflammatoires déjà présentes sur le site. Alors que les neutrophiles disparaissent au bout de quelques jours, étant eux-mêmes phagocytés par les macrophages, ces derniers continuent à s’accumuler dans la zone lésée. Les macrophages jouent un rôle majeur à tous les stades de la cicatrisation  . Leur phénotype fonctionnel dépend du microenvironnement de la lésion et évolue au cours du processus cicatriciel. Au cours de la phase inflammatoire, les macrophages sont activés et exercent des fonctions pro-inflammatoires de présentation d’antigène, de phagocytose et de production d’un cocktail de cytokines inflammatoires (IL-1, IL-6, TNFalpha) et de facteurs de croissance qui accélère le processus cicatriciel. Ils vont nettoyer la plaie en tuant et digérant les pathogènes, en éliminant les débris cellulaires, les plaquettes et les neutrophiles morts. Ils vont participer à l’initiation de la phase réparatrice en produisant des substances chimiotactiques qui vont stimuler la prolifération et la migration des kératinocytes, des fibroblastes et des cellules endothéliales, et favoriser l’angiogenèse et la production du tissu de granulation   dans la zone lésée .

• Les lymphocytes apparaissent tardivement dans la plaie (à partir de 7 jours), lorsque celle-ci est déjà refermée par la croûte cicatricielle. Ils sont présents lors de la phase de remodelage où ils représentent le type cellulaire le plus fréquent. Ceux sont des cytokines telles que l’IFN gamma et des chimiokines, telles que MCP-1, essentiellement secrétés par les macrophages qui vont les faire migrer vers la lésion. Ils vont également intervenir si l’infection de la plaie n’a pu être contrôlée par les autres cellules inflammatoires.

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 5. Les médiateurs chimiques de l’inflammation

• L’histamine est un médiateur préformé synthétisé par les plaquettes puis par les mastocytes et les basophiles ; elle joue un rôle majeur dans l’augmentation de la perméabilité vasculaire et la relaxation vasculaire.

• La thrombine   est l’enzyme clé de la coagulation qui transforme le fibrinogène soluble en brins de fibrine insolubles, active le facteur XIII, ainsi que les facteurs V et VIII de la coagulation et participe à l’activation des plaquettes. Sa production est dépendante de la sécrétion de thromboplastines par des cellules lésées qui vont déclencher l’action d’une enzyme, la prothrombinase qui en présence d’ions calcium va catalyser la transformation de la prothrombine (=facteur II) en thrombine. La thrombine est mitogène pour les lymphocytes, et les fibroblastes. Elle a également un effet sur les cellules endothéliales en stimulant la production de prostacycline, de PDGF, de l’inhibiteur du plasminogène, et l’expression du PAF et en induisant la redistribution de la P sélectine à la surface de ces cellules. Cette dernière action va contribuer au rolling (adhésion lâche) des leucocytes à la surface des cellules endothéliales.

Les produits de dégradation de la fibrine (PDFs) produits sous l’action de la thrombine induisent une augmentation de la perméabilité vasculaire et attirent par chimiotactisme, des neutrophiles, des monocytes et des fibroblastes sur le site de la lésion.

• La sérotonine (= 5-HT) est présente dans de nombreux types cellulaires impliquées dans l’inflammation, tels que les monocytes/macrophages, les mastocytes (chez les rongeurs mais pas chez l’homme) et les lymphocytes. Les plaquettes sanguines   peuvent être considérées comme un réservoir mobile de sérotonine.

• Les métabolites de l’acide arachidonique, prostaglandines et leucotriènes, sont produits à partir de l’acide arachidonique relargué des phospholipides de la membrane cellulaire sous l’action de la phospholipase A2 ; l’acide arachidonique est ensuite converti en prostaglandines par une cyclo-oxygénase (Cox-1 ou Cox-2), ou en leucotriènes par la 5-lipoxygénase. Les prostaglandines ont une action rapide et les leucotriènes une action plus lente. Ils peuvent être produits localement, par exemple, par les mastocytes, les cellules endothéliales ou les macrophages. Ils vont agir à divers niveaux de la réponse inflammatoire. Par exemple :

o La prostacycline (PGI2) est un inhibiteur de l’agrégation plaquettaire et un vasodilatateur

o Le TxA2 stimule l’agrégation plaquettaire et la vasoconstriction des vaisseaux lésés

o Les prostaglandines PGE2, PGF2a et PGD2 sont des vaso-relaxants et augmentent la perméabilité vasculaire

o Les leucotriénes, LtC4, LtD4, et LtE4 induisent une vasoconstriction et augmentent la perméabilité vasculaire ; LtC4, LtD4induisent la secrétion de PAF par les cellules endothéliales

o Le leucotriène LtB4 contribue à la diapédèse des neutrophiles en stimulant leur adhésion aux cellules endothéliales.

• Le PAF (pour Platelet Activating Factor) ou facteur d’activation plaquettaire est un médiateur lipidique secrété par les neutrophiles qui a la capacité d’induire, à très faible concentration l’agrégation plaquettaire et une vasodilatation.

• Les cytokines jouent un rôle majeur dans le déclenchement et la régulation de la réponse inflammatoire ((pour revue, voir Barrientos et al., 2008). Elles peuvent être produites par un grand nombre de cellules distinctes (monocytes/macrophages, cellules endothéliales, kératinocytes, fibroblastes, …) et un type cellulaire peut produire plusieurs types de cytokine. Elles peuvent agir sur plusieurs types de cellules (=pléiotropie) et plusieurs cytokines peuvent avoir la même action sur une même cellule (= redondance). Ces propriétés rendent complexe l’analyse de l’action des cytokines dans la réponse inflammatoire. Schématiquement, on peut distinguer deux classes de cytokines associées à deux types opposés d’action, soit pro-inflammatoires, soit anti-inflammatoires.

o Dans la première classe dite pro-inflammatoire, on trouve l’IL-1béta, l’IL-6, l’IL-12, le TNF-alpha, et les interférons, principalement, l’IFN-gamma. Elles vont participer au recrutement des cellules inflammatoires en induisant l’adhésion des leucocytes à l’endothélium, en participant à l’attraction des cellules inflammatoires sur le site de la lésion par chimiotactisme et en stimulant leur dégranulation. Elles augmentent la synthèse de prostacycline et de PAF

o La deuxième classe comprend l’IL-1Ra, l’IL-4, l’IL-10, l’IL-13, et le TGF-béta qui vont réguler ou inhiber la production et l’action des cytokines pro-inflammatoires.

• L’acide nitrique produits par les cellules endothéliales activées et les macrophages induit une vasodilatation des vaisseaux et augmente la perméabilité vasculaire.

• Le système du complément   regroupe 35 protéines sériques, 12 étant impliquées directement dans l’élimination des pathogénes, les autres régulant l’activité de ces dernières.( Pour revue voir : système du complément Wikipedia->http://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C...] ou Complément et inflammation). Il est activé par le facteur de Hageman (=facteur XII) ou la présence de bactéries ou de corps étrangers à l’organisme. Il va stimuler l’inflammation et l’opsonisation et la formation du complexe d’attaque membranaire va provoquer la lyse des cellules étrangères. Les fragments C3a et C5a sont chimiotactiques pour les neutrophiles et les monocytes ; ils stimulent la libération d’histamine augmentant ainsi indirectement la perméabilité vasculaire et induisent la sécrétion des leucotriènes Lt-C4 et Lt-D4. Le C5a induit l’adhésion des leucocytes à l’endothélium des vaisseaux sanguins. Le C3b est une opsonine qui se lie de façon non spécifique à des récepteurs d’une cellule étrangère et de façon spécifique à ceux des cellules phagocytaires, facilitant ainsi la reconnaissance de la cellule étrangère par les phagocytes et permettant qu’elle soit éliminée plus rapidement.

• Le système des kinines   est un ensemble mal délimité de protéines sanguines, composé de grosses protéines, de petits polypeptides et d’un groupe d’enzymes qui activent ou désactivent les composés (pour revue voir MT Cardo, 2005. L’activation de ce système aboutit à la production de la bradykinine qui est un puissant vasodilatateur, augmente la perméabilité vasculaire, active le système du complément et la fibrinolyse   et attire par chimiotactisme les neutrophiles et les monocytes.

• Les facteurs de croissance sont des protéines produites par les cellules endothéliales, les plaquettes, les neutrophiles, les macrophages, les lymphocytes et d’autres cellules en bordure de la plaie (pour revue, voir Barrientos et al., 2008). Ces protéines stimulent la prolifération des cellules mais peuvent également favoriser leur migration. Par exemple, le TGFbéta produit par les plaquettes, les neutrophiles, les macrophages va stimuler la migration des monocytes et augmenter la synthèse et la secrétion d’autres facteurs de croissance, tels que le TNFalpha, l’IL-1 et le PDGF. Le PDGF et le GM-CSF sont des facteurs chimiotactiques pour les neutrophiles, les monocytes,et les fibroblastes.

 Bibliographie

Barrientos S, Stojadinovic O, Golinko MS, Brem H, Tomic-Canic M. Growth factors and cytokines in wound healing. Wound Repair Regen. 2008 Sep-Oct ;16(5):585-601.

Eming SA, Krieg T, Davidson JM. Inflammation in wound repair : molecular and cellular mechanisms. J Invest Dermatol. 2007 Mar ;127(3):514-25.

Wilgus TA, Roy S, McDaniel JC. Neutrophils and Wound Repair : Positive Actions and Negative Reactions. Adv Wound Care (New Rochelle). 2013 Sep ;2(7):379-388. Review.

Rodero MP, Khosrotehrani K. Skin wound healing modulation by macrophages. Int J Clin Exp Pathol. 2010 Jul 25 ;3(7):643-53. Review.

Wilgus TA, Wulff BC. The Importance of Mast Cells in Dermal Scarring. Adv Wound Care (New Rochelle). 2014 Apr 1 ;3(4):356-365. Review.


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