Biologie de la peau

La revascularisation des greffes de peau humaine

vendredi 29 juillet 2011 par Michel Démarchez

L’origine des cellules endothéliales dans le greffon après la transplantation est depuis longtemps un sujet de débat. Il n’était pas clairement établi si la vascularisation du greffon se réalisait par pénétration de nouveaux vaisseaux en provenance du donneur (néovascularisation  ), par simple abouchement des vaisseaux de l’hôte avec ceux du transplant (anastomose  ) , ou par combinaison de ces deux mécanismes.

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Dans cet article, nous résumons une série de travaux qui ont apporté un nouvel éclairage sur le processus de vascularisation des greffes de peau humaine   normale (#Demarchez et al., 1987) ou de deux types de peau reconstruite in vitro (#Demarchez et al., 1992) qui étaient composées de kératinocytes   humains déposés soit sur un équivalent de derme   (lattice) constitué par des fibroblastes   inclus dans un gel de collagène  , soit sur un derme humain acellulaire déépidermisé (DED).

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Dans la peau, la paroi interne des vaisseaux est constituée par des cellules endothéliales reposant sur une matrice extracellulaire  , ayant des points communs avec la membrane basale de la jonction dermo-épidermique   et que nous appellerons membrane basale vasculaire.

Afin de déterminer dans un premier temps, l’origine des cellules endothéliales dans le derme   greffé, nous avons appliqué la technique dite de double marquage qui est une variante plus sophistiqué du marquage par immunofluorescence indirecte. Par cette méthode, il est possible de faire réagir sur la même coupe de tissu, deux anticorps différents et de les identifier par des couleurs distinctes avec deux autres anticorps respectivement couplés à la fluorescéine (qui émet une fluorescence verte) ou à la rhodamine (qui émet une fluorescence rouge). Comme la fluorescéine et la rhodamine ne sont pas excitées par des rayons UV   de même longueur d’onde, il est possible grâce à des systèmes de filtres, d’exciter soit l’une, soit l’autre et donc de visualiser séparément sur une même coupe chacun des deux anticorps et, donc chacun des deux antigènes spécifiquement liés à l’un ou l’autre des anticorps. En résumé, par cette technique il est possible de localiser sur une même coupe deux antigènes différents présents, par exemple, sur deux types différents de cellules, ou sur un type de cellule et un composant de la matrice extracellulaire.

 1. Origine des cellules endothéliales de la peau humaine   greffée sur la souris nude : homme ou souris ?

Dans un premier temps, nous avons voulu déterminer l’origine murine (de souris) ou humaine des cellules endothéliales dans la peau humaine greffée. Pour cela nous avons utilisé un anticorps non spécifique d’espèce produit chez le lapin, contre une protéine associée au Facteur VIII, qui reconnaissait spécifiquement les cellules endothéliales. Pour déterminer l’origine d’espèce (souris ou homme), nous avons employé des anticorps monoclonaux de souris qui identifiaient les cellules humaines. Ainsi le premier anticorps permettait de localiser les cellules endothéliales et le second de déterminer si elles étaient humaines. Pour révéler spécifiquement ces deux anticorps, nous avons employé un anticorps anti-anticorps de lapin couplé à la rhodamine et un anticorps anti-anticorps de souris couplé à la fluorescéine. Ainsi, les cellules endothéliales des deux espèces apparaissaient en rouge, les cellules endothéliales de souris uniquement en rouge et les cellules endothéliales humaines en rouge et en vert.

Par cette méthode, nous avons pu vérifier que, avant greffe, les cellules endothéliales de la peau humaine, repérées avec l’anticorps anti-Facteur VIII sont toutes marquées avec les anticorps anti-marqueur humain, tels que ceux dirigés contre l’antigène HLA-DR, une protéine de classe II du complexe majeur d’histocompatibilité humain, ou contre la vimentine humaine, le filament intermédiaire du cytosquelette des cellules endothéliales. Par contre, une semaine après la greffe, l’antigène HLA-DR n’est détectable que sur une partie des cellules endothéliales du greffon.

Quinze jours après la greffe, aucune cellule endothéliale ne porte l’antigène HLA-DR, bien que quelques-unes semblent contenir de la vimentine humaine. Aux stades ultérieurs, il n’est plus possible de détecter des marqueurs humains sur les cellules endothèliales du transplant. Ces expériences semblent donc montrer que les cellules endothéliales humaines disparaissent progressivement et qu’un des premiers signes de leur dégénérescence est la disparition du marqueur de l’antigène HLA-DR à leur surface.

Au même moment les cellules endothéliales de souris envahissent le greffon. Ce dernier résultat est confirmé par l’observation d’un dépôt progressif de collagène   de type IV de souris à l’intérieur du derme greffé.

 2. Le processus de revascularisation de la greffe de peau humaine normale

Puisque les cellules endothéliales de souris apparaissaient envahir le derme de la peau humaine transplantée, nous avons trouvé intéressant de déterminer la voie suivie par les cellules endothéliales de souris lorsqu’elles pénétrent dans le greffon. Lorsque ces travaux ont été initiés, il était admis que c’étaient les cellules endothéliales qui synthétisaient les composants de la membrane basale sur laquelle elles reposent.

Un des constituants majeurs de celle-ci est le collagène de type IV. Dans les vaisseaux du derme greffé, du collagène de type IV humain est détecté à tous les stades, même les plus avancés. Il semblait donc probable que, bien que les cellules endothéliales humaines disparaissent, leurs membranes basales restent en place. Nous avons donc décidé de faire des doubles marquages avec les anticorps anti-facteur VIII et anti-collagène de type IV humain.

Notre hypothèse de travail était la suivante : si les cellules endothéliales dans le greffon restaient constamment associées au collagène de type IV humain, cela montrerait que les cellules endothéliales de souris utilisent la membrane basale des vaisseaux originels de la greffe pour migrer dans le derme transplanté. Par contre, si cette co-distribution cellules endothéliales-collagène de type IV humain était seulement partielle ou absente, cela indiquerait que des cellules endothéliales de souris utilisent une autre voie pour pénétrer dans le transplant.

Les résultats furent en faveur de la première hypothèse, à savoir que les cellules endothéliales de la greffe montrent une co-localisation constante avec le collagène de type IV humain et, donc, que les cellules endothéliales de souris utilisent les vaisseaux préexistants de la peau humaine greffée pour pénétrer dans le derme transplanté.

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Au niveau des vaisseaux sanguins de la peau greffée, les cellules endothéliales positives pour le facteur VIII sont constamment associées à du collagène de type IV humain.

Pour vérifier ce résultat, nous avons fait des doubles marquages avec des anticorps dirigés contre les collagènes de type IV, soit humain, soit de souris. Au niveau des vaisseaux sanguins de la greffe, le collagéne de type IV de souris apparaît constamment associé au collagéne de type IV humain. Cette co-localisation n’est pas observée au niveau de la jonction dermo-épidermique du greffon.

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Au niveau des vaisseaux sanguins de la peau humaine greffée, les collagènes de type IV humain et de souris sont constamment associés, à l’exception de zones centrales non encore colonisées par les cellules endothéliales de souris. Au niveau de la jonction dermo épidermique, le collagène de type IV humain n’est détecté que dans la peau humaine et celui de souris que dans la peau de souris.

Cette dernière observation semblaient donc indiquer que les cellules endothéliales de souris construisent leur propre membrane basale sur celles des vaisseaux d’origine du transplant sur lesquelles elles ont migré.

Ainsi, à partir de ces résultats, nous pouvions conclure que la revascularisation de la peau transplantée chez la souris « nude » se réalise probablement selon le mécanisme suivant :

1) il y a anastomose   entre les vaisseaux du greffon et ceux de l’hôte ;

2) les cellules endothéliales humaines perdent leurs marqueurs spécifiques et probablement dégénèrent tandis que les cellules endothéliales de souris pénètrent dans le derme transplanté en migrant sur la membrane basale des vaisseaux d’origine du donneur ;

3) les cellules endothéliales de souris déposent leur propre membrane basale sur celle qui préexistait.

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Toutefois, cette conclusion était vraie sur la base que les cellules endothéliales étaient les seules à synthétiser le collagène de type IV de la membrane basale des vaisseaux sanguins, Comme nous allons le voir, ceci n’est pas le cas. Nous avons pu le démontrer en étudiant la vascularisation de greffes de peau reconstruites « in vitro ».

 3. Le processus de revascularisation de deux types de peau humaine reconstruite « in vitro »

Deux types différents de peau humaine reconstruite « in vitro » ont été greffés sur la souris « nude ». Elles étaient composées de kératinocytes   humains déposés soit sur un équivalent de derme (lattis) constitué par des fibroblastes   inclus dans un gel de collagène, soit sur un derme humain acellulaire déépidermisé (DED).

  3.1 La peau reconstruite composée de kératinocytes humains cultivés sur un DED

(#Demarchez et al., 1992)

Dans la peau reconstruite composée de kératinocytes humains cultivés sur un DED, toutes les cellules dermiques ont été préalablement tuées par plusieurs séquences de congélation-décongélation. Le derme avant greffe est donc essentiellement constitué de la matrice extracellulaire ; en particulier les membranes basales des vaisseaux sanguins sont préservées.

En utilisant les anticorps décrits précédemment, nous avons observé que, aux stades précoces, les cellules endothéliales de souris qui étaient progressivement observées dans le derme de la peau reconstruite greffée, étaient constamment associées au collagène de type IV humain des membranes basales préexistantes des vaisseaux sanguins. A des stades plus tardifs, le collagène de type IV humain progressivement disparaissait alors que du collagène de type IV de souris restait constamment présent.

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Un mois après la transplantation sur la souris nude, les vaisseaux sanguins de la peau humaine greffée ne sont positives que pour le collagène de type IV de souris. La jonction dermo-épidermique est positive pour les collagènes de types IV de souris et humain.

Ces observations sont donc en accord avec l’hypothèse émise avec les greffes de peau humaine normale que, après anastomose (abouchement) des vaisseaux des deux espèces, les cellules endothéliales de souris pénètrent dans la peau greffée en migrant sur les membranes basales d’origine des vaisseaux sanguins de la greffe. Toutefois, à l’inverse de ce que nous avons observé avec les greffes de peau humaine normale où il restait contamment associé au collagène de type IV de souris, le collagène de type IV humain disparait pour être progressivement remplacé par du collagéne de type IV de souris produit par les cellules endothéliales murines.

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  3.2 La peau reconstruite avec un équivalent de derme vivant

(#Demarchez et al., 1992)

Le derme de la peau reconstruite avec un équivalent de derme vivant contient des fibroblastes inclus dans du collagène de type I bovin mais ne comporte aucun vaisseau sanguin avant la greffe et donc aucune cellule endothéliale humaine.

Aprés greffe, le transplant est progressivement revascularisé par la pénétration de vaisseaux à partir de l’hôte. Ces vaisseaux contiennent des cellules endothéliales de souris marquées avec l’anticorps anti-facteur VIII et leurs membranes basales sont, comme attendu, marquées avec l’anticorps anti-type IV de souris. Toutefois, de façon plus surprenante, elles sont également positives avec l’anticorps anti-collagène de type IV humain. Comme les seules cellules d’origine humaine présentes dans le derme humain étaient des fibroblastes, ce dernier résultat indique que des fibroblastes humains du greffon interagissent avec les cellules endothéliales de souris qui pénètrent dans la greffe et produisent du collagène de type IV humain dans les membranes basales des vaisseaux sanguins nouvellement formés.

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L’origine fibroblastique de ce collagène de type IV humain est en accord avec l’observation faite avec les greffes de peau reconstruite avec des équivalents de derme dans lesquels les fibroblastes humains ont été tués ; dans ce cas, en l’absence de fibroblastes humains, aucun collagène de type IV humain n’est observé au niveau des vaisseaux de l’équivalent de derme mort après greffe.

 4. La revascularisation du derme au cours de la cicatrisation  

La cicatrisation de la peau humaine transplantée sur la souris nude fait l’objet d’un article complet sur ce site. Dans le cadre du présent sujet, certaines observations sont d’intérêt. Quand des plaies traversant toute l’épaisseur de la peau greffée sont créées au centre du greffon, deux mois après sa transplantation sur la souris nude, la peau humaine est entièrement reconstruite. La reconstruction de la partie dermique se fait en deux étapes. Dans un premier temps, un tissu de granulation   est fabriqué par des cellules de souris sous la croute. Puis, ce tissu conjonctif cicatriciel est remplacé par un néo-derme produit par des cellules humaines issues du derme voisin non lésé.

Aucun collagène de type IV humain n’est observé au niveau des vaisseaux sanguins du tissu de granulation alors que du collagène de type IV de souris est détecté. Par contre, du collagéne de type IV humain et du collagène de type IV de souris sont présents dans les membranes basales des vaisseaux sanguins du néoderme   humain.

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Au niveau des vaisseaux sanguins du néoderme, les collagènes de type IV humain et de souris sont détectés alors qu’au niveau de la jonction dermo-épidermique, seul le collagène de type IV humain est observé.

Dans ce dernier cas, il apparaît probable que les fibroblastes humains qui ont migré du derme humain non lésé pour construire le néoderme, en interagissant avec les cellules endothéliales de souris vont produire du collagène de type IV humain. Ce résultat est en accord avec les observations rapportées avec les peaux reconstruites avec des lattices de collagène.

 5. Conclusion

De l’ensemble de ces travaux, il est possible de conclure que

-* les fibroblastes dermiques participent à la construction des membranes basales des vaisseaux sanguins ; la production localisée des composants des membranes basales tels que le collagène de type IV par les fibroblastes se feraient suite à leur interaction avec les cellules endothéliales des vaisseaux sanguins ; dans le reste du derme, les fibroblastes produisent la matrice extracellulaire dermique principalement composée de collagène de type I ou de type III. On verra dans un autre article, que des fibroblastes déposent également des composants des membranes basales au niveau de la jonction épidermique

-* la vascularisation des greffes de peau humaine débute par l’anastomose des vaisseaux de l’hôte avec ceux de la greffe si celles-ci en contient.

-* dans le modèle de peau humaine normale greffée sur la souris nude, la peau est vascularisée par des vaisseaux mixtes avec des cellules endothéliales de souris reposant sur une membrane basale qui est en partie synthétisée par ces cellules et pour une autre part est produite par les fibroblastes humains environnants.

 References

Demarchez M, Hartmann DJ, Prunieras M. An immunohistological study of the revascularization process in human skin transplanted onto the nude mouse  . Transplantation. 1987 Jun ;43(6):896-903.

Demarchez M, Hartmann DJ, Regnier M, Asselineau D. The role of fibroblasts in dermal vascularization and remodeling of reconstructed human skin aftertransplantation onto the nude mouse. Transplantation. 1992 Aug ;54(2):317-26.


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