Biologie de la peau

Effets des UV sur l’ADN : lésions et mutations

mercredi 12 décembre 2012 par Emilie Warrick

Les rayonnements ultraviolets (UV  ) sont des rayonnements électromagnétiques dont la longueur d’onde est comprise entre 100 et 400 nm. Le spectre UV est sous‐divisé en 3 régions : les UVA (λ = 320–400 nm), les UVB (λ = 280–320 nm) et les UVC (λ = 100–280 nm). Les UVB et les UVA représentent respectivement 0,3 % et 5,1 % du rayonnement solaire   parvenant à la surface de la Terre, la majorité de ce rayonnement étant composé de lumière visible (62,7%) et d’infrarouges (31,9%) (Sage, 1993). Les UVC et les UVB de courte longueur d’onde (280–295 nm) sont absorbés par la couche d’ozone   de la stratosphère. Toutefois, en raison de la diminution de la couche d’ozone dans certaines régions du globe, la lumière solaire parvenant à la surface de la terre a tendance à s’enrichir en rayonnements UVB et UVC (Lloyd, 1993).

Les UV constituent, d’un point de vue énergétique, la partie la plus active du rayonnement solaire auquel sont soumis les organismes vivants. Ils sont donc responsables de la grande majorité des effets délétères liés à l’exposition solaire. La peau est bien entendu la première cible des rayonnements UV. L’épiderme   atténue la transmission des rayonnements de longueur d’onde < 300 nm, mais laisse passer les rayonnements moins énergétiques (Young et al., 1998). Les UVB sont donc absorbés principalement au niveau de l’épiderme et du derme   superficiel tandis que les UVA pénètrent beaucoup plus profondément dans la peau.

 I. Lésions induites par les UVC   et les UVB sur l’ADN

Les cycles aromatiques des bases constituant la molécule d’ADN absorbent l’énergie des photons associés à une longueur d’onde comprise entre 230 et 290 nm, c’est‐à‐dire dans le domaine des UVC et, dans une moindre mesure, celui des UVB. L’énergie absorbée au niveau de deux pyrimidines (cytosine (C) ou thymine (T)) adjacentes fournit l’énergie nécessaire à la formation d’une liaison covalente entre ces deux bases, au détriment des liaisons hydrogène établies entre deux bases complémentaires et assurant la cohésion de la double hélice d’ADN. Les dimères de pyrimidine majoritairement induits par les UVC et les UVB sont les dimères cyclobutaniques de pyrimidines  (cyclobutane pyrimidine dimer, CPD) et les pyrimidines (6‐4) pyrimidone   (6‐4 PP) .

Les UVC et les UVB induisent également d’autres types de lésions sur les bases de l’ADN, comme l’hydrate de cytosine, les dimères d’adénine ou les adduits thymine-adénine, mais la fréquence de formation de ces lésions est très faible.

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Les principaux types de lésions induites par les UV

 I.1. Les CPD

Les CPD sont formés par liaison covalente de deux pyrimidines adjacentes en une structure « cyclique » engageant les atomes de carbone C5 et C6 de chaque pyrimidine (d’où le nom cyclobutane). Les CPD sont les lésions photo‐induites les plus fréquentes ; le taux de formation des CPD dans les cellules en culture après une irradiation UVB est estimé à 1‐5.10-4 lésions/kpb/J.m-2 (Douki and Cadet, 2001 ; Perdiz et al., 2000), soit 300 à 1500 lésions/cellule/J.m-2. Les CPD créent une distorsion de la double hélice d’ADN d’environ 7 à 10° par rapport à son conformation initiale (Kim et al., 1995 ; Miaskiewicz et al., 1996). Cette distorsion bloque la progression des ADN polymérases δ/ε lors de la réplication et de l’ARN polymérase II lors de la transcription.

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Mécanisme de formation des CPD
Les CPD sont formés par liaison covalente des atomes C5 et C6 de deux pyrimidines adjacentes. Seul l’isomère cis-syn est généré dans l’ADN double brin.

La formation des CPD dépend de la longueur d’onde du rayonnement UV (UVB ou UVC), du matériel biologique étudié (ADN cellulaire, plasmide, etc.), du contexte de séquence autour du site bipyrimidique mais également du site bipyrimidique lui‐même. Ainsi, dans la peau humaine   ou les kératinocytes   exposés aux UVB, les lésions les plus fréquentes sont les lésions T◊T (T◊T représentant un CPD impliquant deux thymines adjacentes) et T◊C (Mouret et al., 2006).

Les ilots CpG contenus dans les régions promotrices des gènes humains sont fréquemment méthylés en position C5 de la cytosine (5‐mC). Or la longueur d’onde d’absorption maximale des 5-mC est de 273 nm alors que celle des cytosines non‐méthylées est de 267 nm. La présence d’une 5- mC au niveau d’une séquence bipyrimidique favorise donc la formation de lésions CPD sur ce site suite à une irradiation UVB (Drouin and Therrien, 1997 ; Mitchell, 2000 ; You et al., 1999).

 I.2. Les 6‐4 PP

Les 6‐4 PP résultent de la formation d’un pont stable entre les positions C6 et C4 de deux pyrimidines adjacentes.

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Mécanisme de formation des 6‐4 PP et photoisomérisation
La première étape de la formation des 6‐4 PP est une structure cyclique instable impliquant d’une part les carbones C5 et C6 de la base pyrimidique située en 5’ sur le brin et d’autre part le carbone C4 et l’oxygène (pour une thymine) ou l’azote (pour un cytosine) porté par le carbone C4 de la pyrimidine située en 3’. Cet anneau se rompt spontanément, résultant en un transfert d’un groupement hydroxy ( OH) ou amino (–NH2) au niveau du carbone C5 de la pyrimidine en 5’ et aboutissant à la formation d’un pont stable entre les positions C6 et C4 des deux pyrimidines adjacentes. En présence de photons de longueur d’onde ≈ 320 nm, les 6‐4 PP peuvent donner naissance à leur isomère de Dewar. Légende : CPD, dimère cyclobuténique de pyrimidines ; 6‐4 PP,
pyrimidine (6‐4) pyrimidone.

Les 6‐4 PP sont quantitativement les secondes lésions les plus fréquentes après une irradiation UVB ou UVC. Le ratio entre le nombre de CPD et le nombre de 6‐4 PP formés pour une dose UVB donnée est estimé entre 8 : 1 (Perdiz et al., 2000) et 3 : 1 (Douki and Cadet, 2001). Les 6‐4 PP sont des lésions beaucoup plus déformantes que les CPD : elles créent une distorsion de 44° de l’ADN par rapport à sa conformation initiale (Kim et al., 1995 ; Spector et al., 1997). Cette distorsion bloque la progression des ADN et des ARN polymérases.

Comme dans le cas des CPD, la formation des 6‐4 PP est dépendante de la séquence bipyrimidique. Dans la peau et les kératinocytes primaires irradiés aux UVB, les seules lésions 6‐4 PP observées sont les T(6‐4)C et les T(6‐4)T (Mouret et al., 2006). Contrairement au cas des CPD, les données concernant l’influence de la méthylation des cytosines sur la formation des 6‐4 PP sont contradictoires (Mitchell, 2000 ; Pfeifer et al., 1991).

 II. Lésions induites par les UVA

 II.1. Photo‐sensibilisateurs et espèces réactives de l’oxygène  

Les UV peuvent également induire des dommages sur l’ADN de façon indirecte. En effet, les UVA ne sont que très faiblement absorbés par les bases de l’ADN mais ils peuvent exciter des chromophores   cellulaires, appelés photo‐sensibilisateurs, comme les mélanines  , les porphyrines, la riboflavine, le tryptophane, etc. (pour revue voir : Ridley et al., 2009 ; Wondrak et al., 2006).

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Chromophores biologiques cutanés et types d’UV absorbé

Les photo‐sensibilisateurs excités par l’absorption des photons UV peuvent revenir à leur état d’énergie fondamental par dissipation de chaleur ou émission de photons (c’est le phénomène de fluorescence) mais ils peuvent également subir une transition vers un état énergétique plus stable appelée état triplet. Cet intermédiaire joue un rôle clé dans l’induction des dommages liés aux UVA. Il peut réagir directement avec d’autres molécules, comme les bases de l’ADN, (photosensibilisation de type I) ou transférer son énergie aux molécules d’oxygène(photosensibilisation de type II), menant ainsi à la formation d’espèces réactives de l’oxygène (reactive oxygen species, ROS) comme l’oxygène singulet   (1O2) ou l’anion superoxyde   (O2•- )(Foote, 1991). Le peroxyde d’hydrogène   (H2O2) est formé par dismutation de l’anion superoxyde :

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Cette réaction peut se produire spontanément ou sous l’action de l’enzyme superoxyde dismustase (SOD  ). En présence de métaux de transition, H2O2 est capable de générer le radical hydroxyle   (OH) selon la réaction de Fenton (1) ou via sa réduction par l’anion superoxyde selon la réaction de Haber‐ Weiss (2) :

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L’accumulation de ROS dans la cellule peut provoquer des lésions directes sur tous les composants cellulaires : peroxydation des lipides  , oxydation des protéines et altérations des acides nucléiques. Sur l’ADN, cinq principaux types de lésions peuvent être induits par les ROS : la modification de bases, la création de sites abasiques, la formation d’adduits lipidiques, les pontages ADN‐protéines et les cassures de l’hélice d’ADN (simple ou double‐brin) (Cadet et al., 1999). Nous ne décrirons ici que les altérations des bases de l’ADN.

 II.2. Oxydation de la guanine

Les bases de l’ADN sont particulièrement sensibles aux réactions d’oxydation. Parmi elles, la guanine possède le potentiel d’ionisation le plus bas et constitue donc la principale cible devant l’adénine, puis la thymine et la cytosine (Ravanat et al., 2001). L’oxydation de la guanine par une réaction de photosensibilisation de type I (figure A) ou de type II (figure B) conduit à la formation de la 8‐oxo‐7,8‐dihydroguanine   (8‐oxoG) (Wondrak et al., 2006).

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Il est important de noter ici que les UVB sont également capables d’exciter des chromophores cellulaires et d’induire la production de ROS dans les cellules. Les UVB sont même 100 fois plus efficaces que les UVA pour la formation de la 8‐oxoG, par un mécanisme de photosensibilation de type II faisant sans doute intervenir l’oxygène singulet. Le taux de formation de la 8‐oxoG étant toutefois 100 fois plus faible que celui des CPD, cette lésion apparaît comme une conséquence mineure de l’irradiation UVB (Douki et al., 1999).

Contrairement aux dimères de pyrimidines qui induisent des distorsions de la structure de l’ADN, la 8‐oxoG ne crée pas de déformation de l’ADN (Lipscomb et al., 1995). Par ailleurs, le carbone C8 oxydé se trouve complètement enchâssé au sein de la double hélice ce qui rend cette lésion pratiquement « invisible ». Il ne s’agit donc pas d’une lésion bloquante pour les polymérases réplicatives et transcriptionnelles (Bregeon et al., 2009).

 II.3. Dimères de pyrimidine induits par les UVA

Les UVA n’étant pas absorbés directement par les bases pyrimidiques de l’ADN, la formation des CPD et des 6‐4 PP a longtemps été considérée comme spécifique des rayonnements UVB et UVC. La 8‐oxoG était alors considérée comme la lésion photo‐induite majoritaire après une irradiation UVA. Cependant, l’accumulation des études visant à caractériser le spectre des dommages liés aux UVA permet aujourd’hui d’affirmer que la majorité des lésions induites sur l’ADN par les UVA sont des CPD de type T◊T (Courdavault et al., 2004 ; Douki et al., 2003 ; Mouret et al., 2006 ; Perdiz et al., 2000 ; Rochette et al., 2003). Les lésions 6‐4 PP ne semblent pas être générées par les UVA. En fonction des types cellulaires et des méthodes d’analyse, les CPD sont 3 à 10 fois plus fréquents que la 8‐oxoG dans l’ADN des cellules irradiées avec des UVA. Les lésions T◊T générées par les
rayonnements UVA dériveraient d’un mécanisme de photosensibilisation de type I – par transfert d’énergie à partir de l’état triplet d’un chromophore cellulaire situé à proximité de l’ADN – plutôt que d’une excitation directe comme c’est le cas pour les CPD induits par les UVB (Douki et al., 2003 ; Wondrak et al., 2006).

Pour comparaison, il est toutefois intéressant de noter que, dans la peau, le taux global de lésions formées dans l’ADN suite à une irradiation UVB est d’environ 156 lésions/cellule/J.m-2 tandis qu’il est de 0,024 lésion/cellule/J.m-2 après une irradiation UVA (Mouret et al., 2006). La capacité des UVB à engendrer des CPD est donc plus de 6000 fois supérieure à celle des UVA.

 III. Lésions induites par la lumière solaire

 III.1. Comment simuler le spectre solaire ?

Le maximum du spectre d’absorption de l’ADN se situant autour de 260 nm, les lampes UVC « 254 nm » ont été largement employées pour étudier les effets intra‐cellulaires des UV. Cependant, la pertinence de l’utilisation des UVC est remise en cause par le fait que ces derniers n’atteignent pas la surface de la Terre. Pour mieux comprendre l’impact physiologique des UV, de nombreuses études s’attachent désormais à « simuler » le rayonnement du soleil en recréant un spectre d’émission mimant le mieux possible le spectre solaire. Cette lumière solaire simulée (solar simulated light, SSL) est généralement produite par une lampe au xénon à large spectre couplée à un filtre passe‐haut de type WG320, permettant de couper toutes les longueurs d’onde inférieures à 310 nm. Le rayonnement ainsi obtenu est composé de 0,8% d’UVB, de 6% d’UVA, de 44,5% de lumière visible et de 48,7% d’infrarouges (UVC < 10‐5 %), soit des proportions très similaires à celles du spectre solaire (Perdiz et al., 2000). Toutefois, certains n’hésitent pas à utiliser directement le soleil comme source lumineuse pour étudier l’effet du rayonnement UV sur leurs cellules (Tommasi et al., 1997) !

 III.2. Les CPD, les 6‐4 PP et leur isomère de Dewar

Les lésions 6‐4 PP peuvent absorber les photons associés à des longueurs comprises entre 310 et 340 nm (frontière UVB/UVA) et l’énergie absorbée peut entraîner la conversion des 6‐4 PP en leur isomère de Dewar (Taylor et al., 1990). Ce photo‐isomère est caractérisé par une liaison entre l’atome d’azote N3 et l’atome de carbone C6 de la base située en 3’.

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Mécanisme de formation des 6‐4 PP et photoisomérisation
La première étape de la formation des 6‐4 PP est une structure cyclique instable impliquant d’une part les carbones C5 et C6 de la base pyrimidique située en 5’ sur le brin et d’autre part le carbone C4 et l’oxygène (pour une thymine) ou l’azote (pour un cytosine) porté par le carbone C4 de la pyrimidine située en 3’. Cet anneau se rompt spontanément, résultant en un transfert d’un groupement hydroxy ( OH) ou amino (–NH2) au niveau du carbone C5 de la pyrimidine en 5’ et aboutissant à la formation d’un pont stable entre les positions C6 et C4 des deux pyrimidines adjacentes. En présence de photons de longueur d’onde ≈ 320 nm, les 6‐4 PP peuvent donner naissance à leur isomère de Dewar. Légende : CPD, dimère cyclobuténique de pyrimidines ; 6‐4 PP,
pyrimidine (6‐4) pyrimidone.

Les CPD sont les lésions majoritaires après une irradiation SSL et 90% d’entre eux seraient liés aux rayonnements UVB de ce spectre (Douki et al., 1999). Par contre, la quantité totale de 6‐4PP formés après une irradiation SSL est 20 fois plus faible qu’après une irradiation UVB (Douki et al., 2003). De plus, une forte augmentation de la photo‐isomérisation des T(6‐4)C et des T(6‐4)T en isomères de Dewar est observée (Douki et al., 2003 ; Perdiz et al., 2000). Cette photo‐isomérisation serait liée à l’absorption par les 6‐4 PP des photons UVA émis par la SSL.

Selon l’étude menée par Tomassi et al. en irradiant des kératinocytes directement sous la lumière du soleil de Los Angeles à midi en plein été, certains sites CpG méthylés sont 15 fois plus susceptibles de générer un CPD après une irradiation solaire qu’après une irradiation UVB ou UVC (Tommasi et al., 1997). Ces résultats ont été confirmés in vitro par Mitchell et al. après une irradiation SSL un peu plus conventionnelle (Mitchell, 2000). La 5‐mC jouerait donc un rôle important dans le spectre des lésions induites par la lumière solaire.

 III.3. Induction de la 8‐oxoG par la lumière solaire

Après une exposition SSL, le taux de formation de la 8‐oxoG est extrêmement faible puisqu’il est estimé à environ 1.10‐9 lésion/kpb/J.m‐2, soit 0,003 lésion/cellule/J/m‐2 (Douki et al., 1999). Dans les mêmes conditions, le taux de formation des CPD est environ 140 fois plus élevé que celui de la 8‐ oxoG.

 IV. Mutagénèse photo‐induite

Comme nous l’avons vu précédemment, les dimères de pyrimidines induits par les UV sur l’ADN entraînent une distorsion de la double hélice d’ADN qui bloque notamment la progression des polymérases réplicatives. Si la lésion n’est pas réparée, le passage de certaines polymérases distributives « à travers » cette lésion – synthèse translésionnelle (translesion synthesis, TLS) – peut être associé à l’insertion d’une base incorrecte en face des bases lésées. La TLS est alors qualifiée d’ « infidèle » et une mutation apparaît au cycle de réplication suivant. La probabilité de mutagénèse au niveau d’un site particulier dépend de la fréquence des lésions, de leur cinétique de réparation mais également des caractéristiques intrinsèques des lésions qui détermine leur potentiel mutagène.

 IV.1. Mutations induites par les UVB et les UVC : nature et mécanisme de formation

L’étude du spectre des mutations induites par les UVC ou les UVB a permis de mettre en évidence que, de la levure aux cellules des mammifères, la majorité des mutations observées sont des transitions C → T formées au niveau de sites bipyrimidiques (Armstrong and Kunz, 1990 ; Drobetsky et al., 1987 ; Kappes et al., 2006 ; Pfeifer et al., 2005 ; Robert et al., 1996). La présence simultanée de transitions en tandem CC → TT constitue la véritable « signature » de la mutagénèse UVB/UVC car ce type de mutation est une caractéristique quasiment exclusive de l’effet de ces rayonnements (Hutchinson, 1994).

La présence de ces mutations au niveau des sites bipyrimidiques met clairement en évidence l’implication des dimères de pyrimidines dans le processus de mutagénèse (Brash et al., 1987). Toutefois, la contribution relative des CPD et des 6‐4 PP reste encore controversée. Les CPD sont formés plus fréquemment que les 6‐4 PP et ils sont aussi réparés plus lentement (Mitchell et al., 1990 ; Thomas et al., 1989). Cette différence de cinétique de réparation est liée à la plus forte distorsion de l’ADN induite par les 6‐4 PP qui facilite leur reconnaissance et leur prise en charge par les protéines de réparation de l’ADN (Szymkowski et al., 1993). Les CPD persistent donc plus longtemps dans l’ADN et sont considérés par beaucoup comme les principales lésions mutagènes suite à une irradiation UV (You et al., 2001). Toutefois, la mutagénèse liée à la persistance de lésions 6‐4 PP non réparées dans l’ADN ne peut pas être exclue (Gentil et al., 1996 ; LeClerc et al., 1991).

Plusieurs mécanismes de mutagénèse peuvent expliquer la prépondérance des transitions de type C → T au niveau des sites bipyrimidiques (Pfeifer et al., 2005). La première voie implique le passage à travers la lésion d’une ADN polymérase de la famille Y. Les polymérases de la famille Y, également appelées polymérases TLS, sont des ADN polymérases distributives, sans activité de relecture, capables de copier l’ADN en passant à travers des lésions ou des adduits bloquant les polymérases réplicatives δ/ε. Les polymérases TLS sont plus ou moins fidèles et leur taux d’erreur est 10 000 à 100 000 fois plus élevé que celui des polymérases δ/ε (Loeb and Monnat, 2008). Le passage d’une de ces polymérases à travers une lésion de type CPD peut aboutir à l’insertion non spécifique d’une ou deux adénines en face de la lésion qu’elle ne sait pas interpréter : c’est la « règle du A » (Tessman et al., 1992). Cette loi permettrait d’expliquer pourquoi, malgré leur fréquence de formation beaucoup plus importante, les dimères TT sont beaucoup moins mutagènes que les dimères faisant intervenir une cytosine. En effet, l’insertion d’une adénine en face d’une lésion TT ne modifie pas la séquence de l’ADN. Au contraire, l’incorporation d’une adénine en face d’une cytosine impliquée dans un dimère de pyrimidines peut conduire à l’apparition d’une mutation C → T (figure ci-dessous).

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Mecanisme-hypothetique-pour-la-mutagenese-induite-par-les-UV : voie-1
La formation d’un dimère de pyrimidines (représenté par un crochet) après une irradiation UV est
particulièrement fréquente au niveau des séquences bipyrimidiques contenant une 5‐méthylcytosine
(mC). La synthèse translésionnelle par une polymérase infidèle peut conduire à l’incorporation d’une ou de deux bases adénine (A) en face du dimère (règle A). Au cycle de réplication suivant, une
mutation C →T ou CC → TT apparaît.

La seconde voie de mutagénèse serait liée à la désamination photo‐induite de la cytosine suivie d’un franchissement « fidèle » de la lésion par la polymérase η. La polymérase η.est une polymérase translésionnelle capable de répliquer l’ADN de façon fidèle à travers un dommage de type CPD ou ‐ oxoG, mais pas à travers une 6‐4 PP (Masutani et al., 2000 ; Yu et al., 2001). La désamination de la cytosine conduit à la formation d’un uracile et si la cytosine est méthylée (5‐mC), sa désamination conduit à la formation d’une thymine. Dans les deux cas, le passage de l’ADN polymérase η suite à cette désamination provoquera donc l’insertion spécifique d’une adénine en face de la cytosine désaminée (Peng and Shaw, 1996). Ainsi, la formation préférentielle des CPD sur les sites bipyrimidiques contenant une 5‐mC et la désamination photo‐induite de la 5‐mC pourraient expliquer la fréquence élevée des mutations C → T observées dans les séquences CpG des gènes humains (Lee and Pfeifer, 2003 ; Pfeifer et al., 2005 ; Tu et al., 1998).

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Mecanisme-hypothetique-pour-la-mutagenese-induite-par-les-UV : voie-2
La formation d’un dimère de pyrimidines (représenté par un crochet) après une irradiation UV est
particulièrement fréquente au niveau des séquences bipyrimidiques contenant une 5‐méthylcytosine
(mC). Une désamination spontanée ou photo‐induite de la 5‐
méthylcytosine et/ou de la cytosine peut également avoir lieu au niveau du dimère, donnant
naissance à une thymine (T) ou à un uracil (U), respectivement. Le passage de la polymérase
translésionnelle η conduit alors à l’incorporation fidèle de bases A en face du dimère. Une mutation
C →T ou CC → TT apparaît donc au cycle de réplication suivant.

 IV.2. Mutations induites par les UVA

La 8‐oxoG a longtemps été considérée comme le principal candidat permettant d’expliquer les effets génotoxiques des UVA. Lors de la réplication de l’ADN, la 8‐oxoG peut être appariée avec une adénine et ce mésappariement peut provoquer, lors du deuxième cycle réplicatif, l’apparition de transversions G → T (Shibutani et al., 1991). Ce type de mutations a été décrit dans les fibroblastes   murins et les kératinocytes humains irradiés aux UVA mais il n’est pas toujours majoritaire (tableau ci-dessous).

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Mutations induites par les UVA
aprt, adénine phosphoribosyltransférase ; hprt, hypoxanthineguanine
phosphoribosyltransferase.

L’oxydation de la guanine peut également mener à la formation de résidus 8‐oxoGTP dans le pool des nucléotides libres. L’appariement d’un 8‐oxoGTP en face d’une adénine pourrait expliquer les mutations T → G observées, par exemple, dans le gène p53 des kératinocytes basaux issus de peaux reconstruites irradiées avec des UVA (Huang et al., 2009). Un nombre croissant de publications suggèrent également une forte implication des dimères de pyrimidines dans la mutagénèse UVA. En effet, de nombreuses études menées chez la souris ou sur des cellules humaines en culture montrent une prépondérance des transitions C → T, parfois associées à la présence de la « signature UVB » CC → TT, après une irradiation UVA (tableau 3A). La majorité de ces mutations sont formées au niveau des sites bipyrimidiques de l’ADN, mettant directement en cause les dimères de pyrimidine formés sur ces séquences.

 IV.3. Mutations induites par la lumière solaire

Comme dans le cas des UVA, le profil des mutations induites la lumière solaire est largement dépendant du modèle étudié et des conditions expérimentales (tableau ci-dessous).

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Mutations induites par la lumière solaire simulée
aprt, adénine phosphoribosyltransférase ; hprt, hypoxanthineguanine
phosphoribosyltransferase.

Les résultats obtenus par les différentes équipes soulignent la complexité des évènements menant à la formation de mutations après une irradiation SSL.

 Bibliographie

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